CHIRURGIE DES MICI : LE POINT EN 2025

Les principales indications chirurgicales pour maladies inflammatoires de l’intestin (MICI) incluent les complications aiguës (colite aiguë grave de rectocolite hémorragique, forme perforante de maladie de Crohn), les formes réfractaires au traitement médical et plus rarement le cancer. La chirurgie des MICI est aujourd’hui laparoscopique permettant une moindre agressivité pour le patient. L’évaluation préopératoire (notamment nutritionnelle) et le suivi postopératoire (par monitoring de la CRP notamment) sont essentiels pour réduire la morbidité postopératoire. L’indication chirurgicale repose sur une prise en charge multidisciplinaire dans des centres spécialisés pour les MICI.

 

LE BILAN PRÉOPÉRATOIRE

Une prise en charge multidisciplinaire avec des gastroentérologues, des chirurgiens digestifs, des radiologues, des infirmières spécialisées, des nutritionnistes et des psychologues, dans un centre de référence, est essentielle pour sélectionner le traitement approprié pour chaque patient, y compris le timing de la chirurgie, le type d’intervention, ainsi que l’arrêt éventuel des traitements médicamenteux.

Une évaluation nutritionnelle préopératoire est indispensable, tout comme un bilan sanguin complet afin de corriger une éventuelle carence en fer. Une prophylaxie antibiotique intraveineuse peropératoire est également essentielle, ainsi que des mesures de prévention du tabagisme 1, 2. De plus, en cas de chirurgie avec résection colique, une préparation colique est bénéfique, comprenant une antibiothérapie orale 24 heures avant l’intervention et une préparation mécanique orale, en l’absence de syndrome occlusif. Une bonne information chirurgicale et postopératoire du patient est également primordiale.

LES INDICATIONS CHIRURGICALES

Maladie de Crohn

Environ 30 à 50 % des patients souffrant de maladie de Crohn (MC) devront subir un jour une intervention chirurgicale au cours de leur vie, ce qui fait que la chirurgie reste un élément essentiel dans la gestion de la maladie 1.

La chirurgie est surtout proposée pour les patients qui ne répondent pas aux traitements médicamenteux, ainsi que pour les cas compliqués, comme les sténoses avec symptômes obstructifs, ou les formes perforantes avec fistule ou abcès. Bien que la péritonite par perforation soit rare, elle est aussi possible et indique une intervention en urgence. Pour les formes avec abcès, une intervention chirurgicale à froid après un traitement antibiotique, plus ou moins drainage radiologique des abcès, est souvent réalisée 1.

Depuis l’essor récent des traitements biologiques, l’indication chirurgicale est souvent aujourd’hui en « compétition » avec une intensification du traitement médical que ce soit pour les formes sténosantes, voire même perforantes, et même les formes inflammatoires non sténosantes non perforantes. Des données récentes suggèrent d’ailleurs que la chirurgie « précoce » fait souvent aussi bien voire mieux (en termes de rémission sans traitement) que le traitement médical dans certaines études 3, 4.

Rectocolite hémorragique

Entre 10 et 20 % des patients souffrant de rectocolite hémorragique (RCH) auront besoin d’une intervention chirurgicale au cours de leur vie 5.

La colite aiguë grave (CAG) est une des principales indications chirurgicales. Environ 30 % des patients souffrant de CAG ne répondent pas au traitement médical intensif et une chirurgie est alors recommandée 2.

Les autres indications sont la RCH réfractaire au traitement médical, avec symptômes invalidants (par microrectum et microcolie, avec diarrhée sanglante, douleurs abdominales, asthénie) et la RCH compliquée de dysplasie voire cancer colorectal (CCR). Le risque de CCR est influencé par la durée, l’étendue et la gravité de la maladie, ainsi que par la présence d’une cholangite sclérosante primitive associée 2.

LES TECHNIQUES CHIRURGICALES

La chirurgie laparoscopique et plus récemment la chirurgie robotique ont clairement démontré leur bénéfice par rapport à la laparotomie dans la chirurgie des MICI, avec une réduction de la morbidité postopératoire. La réalisation d’une stomie temporaire dans la chirurgie des MICI est souvent indiquée en cas de risque élevé de complications septiques postopératoires, surtout en cas de chirurgie en urgence, d’abcès et/ou fistule, de perte de poids >10 % et/ou albumine <25 mg/L, et enfin de corticothérapie récente. Le tabac et l’anémie augmentent aussi ce risque 6 alors que les traitements biologiques ne l’augmentent pas 1.

Les techniques chirurgicales pour la maladie de Crohn

• Résection iléo-caecale

C’est l’intervention la plus fréquemment pratiquée dans la MC. Elle est réalisée par laparoscopie avec anastomose immédiate, sauf en cas de facteurs de risques connus de sepsis postopératoire (corticoïdes récents, fistule et/ou abcès, dénutrition) où on réalise une stomie temporaire. L’anastomose est le plus souvent mécanique latéro-latérale, préférable à une anastomose termino-terminale ou termino-latérale de plus petite calibre 1.

Deux techniques alternatives ont été récemment proposées afin de réduire le taux de récidive observée après résection iléocæcale : tout d’abord l’anastomose Kono-S 7, anastomose latérolatérale se mettant à distance du mésentère. Après un enthousiasme initial, un essai prospectif français et un essai randomisée hollandais non encore publié n’ont pas montré de réduction du taux de récidive endoscopique à 6 mois (autour de 45 % quelle que soit la technique) 8. A été aussi proposée lors de la résection iléocæcale une résection « carcinologique » étendue du mésentère adjacent, supposé être responsable de la récidive postopératoire observée. Là encore, les résultats initialement bons dans une étude rétrospective sont décevants dans une étude randomisée récente, sans aucun bénéfice démontré en termes de récidive 9,10.

• Stricturoplastie

En présence de sténoses intestinales multiples et/ou d’antécédents de résection intestinale, le risque de syndrome de grêle court a conduit à privilégier les stricturoplasties plutôt qu’une nouvelle résection avec l’objectif de lever la sténose sans réséquer d’intestin supplémentaire. Qu’elle soit courte ou longue, elles ont leur place dans le traitement chirurgical, avec des résultats à long terme équivalents à la résection, mais sont surtout réservées aux formes récidivantes ou avec sténoses multiples 11,12,13,14.

• La chirurgie de la maladie de Crohn colique

La colectomie segmentaire est indiquée en lieu et place de la colectomie subtotale chez les patients présentant un seul segment colique atteint dans la maladie de Crohn 1. En cas de pancolite ou de CAG, une colectomie subtotale en plusieurs étapes, avec une anastomose iléorectale est le plus souvent proposée. S’il y a une atteinte rectale associée à l’atteinte colique, une coloproctectomie totale avec iléostomie définitive est indiquée, mais nous avons montré que l’anastomose iléoanale pouvait être proposée en alternative à la stomie définitive chez des patients sélectionnés (sans atteinte du grêle ou de l’anus) 15.

Les techniques chirurgicales pour la rectocolite hémorragique

• La proctocolectomie avec anastomose iléo-anale (AIA)

La proctocolectomie avec anastomose iléo-anale et réservoir en J (AIA) est la procédure chirurgicale de choix pour les patients atteints de rectocolite hémorragique 5,16. Cette intervention est le plus souvent réalisé en 3 temps opératoires surtout si la maladie débute par une CAG, avec colectomie subtotale comme première intervention, puis iléoanale protégée par une iléostomie, puis fermeture de stomie. Cette stratégie est réduite à deux temps opératoires (AIA puis fermeture de stomie) dans les formes quiescentes de la maladie avec dysplasie ou cancer par exemple et pour certains, en deux temps dit « modifiés » avec colectomie subtotale puis directement AIA sans stomie 16. Cette intervention doit être faite par laparoscopie ou robot afin d’éviter comme nous l’avons montré le risque de troubles de la fertilité chez la femme jeune suite aux adhérences postopératoires de la laparotomie 17.

La proctocolectomie totale avec iléostomie terminale reste une possibilité chez les patients ne pouvant avoir une AIA (mauvaise fonction sphinctérienne, cancer du très bas rectum).

• La colectomie subtotale avec anastomose iléo-rectale

L’anastomose iléo-rectale (AIR) est une alternative intéressante à l’AIA dans la RCH en cas de rectum conservable, notamment chez les patients débutant leur maladie par une CAG, sans proctite chronique associée 18.

Cependant, le risque potentiel de cancer rectal nécessite une surveillance à long terme minutieuse 2. Plusieurs facteurs ont été indépendamment associés à un risque accru de cancer rectal après AIR, notamment l’âge avancé, la durée prolongée de la maladie, la cholangite sclérosante primitive (CSP) et les antécédents de cancer du côlon. En présence de ces facteurs de risque, une AIA est préférable plutôt qu’une AIR pour ces patients 19.

• La colectomie segmentaire

Nous avons montré qu’une colectomie segmentaire pouvait aussi être une alternative à l’AIR ou l’AIA en cas de RCH notamment chez les patients âgés avec comorbidités, et opéré pour un cancer par exemple, mais sans colite active. Dans des cas sélectionnés, elle donne de bons résultats sans nécessité d’une intervention plus lourde 20.

• L’appendicectomie

Enfin, l’appendicectomie a été proposé dans les RCH en poussée modérée comme une alternative au traitement médicale mais surtout à la chirurgie plus lourde. Des études suggèrent ainsi un effet bénéfique (de physiopathologie complexe) sur l’évolution de la RCH chez au moins un tiers des patients traités. Cette technique reste néanmoins encore en évaluation et controversée 21,22.

Les progrès de la chirurgie des MICI et de la prise en charge périopératoires

Aujourd’hui, la laparoscopie et la méthode de Récupération Améliorée Après Chirurgie (ERAS) font que l’agression de la chirurgie est aujourd’hui réduite pour le patient 23. Dans la réalité clinique, après laparoscopie pour MICI, le patient peut se réalimenter le jour même et reste hospitalisé 3 jours après résection iléocæcale et 5 jours après AIA. La mortalité opératoire est quasi nulle (moins de 0,5 % sur plus de 1 000 patients dans notre expérience), et la morbidité sévère inférieure à 5 %.

Ces bons résultats s’expliquent aussi par une mobilisation précoce du patient en postopératoire, un retour rapide à une alimentation normale, et une thromboprophylaxie prolongée de 30 jours postopératoires.

CONCLUSION

La chirurgie joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la prise en charge des formes réfractaires ou compliquées des MICI. Une prise en charge multidisciplinaire, associée à une évaluation préopératoire et un suivi rigoureux est cruciale pour optimiser les résultats postopératoires qui bénéficient de la laparoscopie et de la réhabilitation précoce postopératoire permettant une réduction de la morbidité postopératoire et un retour plus rapide à une activité normale pour le patient 


Date de l'article : Avril 2025

References

1. Adamina M, Bonovas S, Raine T, Spinelli A, Warusavitarne J, Armuzzi A, et al. ECCO Guidelines on Therapeutics in Crohn’s Disease: Surgical Treatment. J Crohns Colitis 2020; 155-168.

2. Spinelli A, Bonovas S, Burisch J, Kucharzik T, Adamima M, Annese V, et al. ECCO Guidelines on Therapeutics in Ulcerative Colitis: Surgical Treatment. J Crohns Colitis 2022; 179-189.

3. Stevens TW, Haasnoot ML, D’Haens GR, Buskens CJ, de Groof EJ, Eshuis EJ, et al. Laparoscopic ileocaecal resection versus infliximab for terminal ileitis in Crohn’s disease: retrospective long-term follow up of the LIR!C trial. Lancet Gastroenterol Hepatol 2020; 5: 900-907.

4. Maggiori L, Khayat A, Treton X, Bouhnik Y; Vicaut E, Panis Y. Laparoscopic approach for inflammatory bowel disease is a real alternative to open surgery: an experience with 574 consecutive patients. Ann Surg 2014; 260: 305–310

5. Bislenghi G, Luberto A, De Coster W, Van Langenhoven L, Wolthuis A, Ferrante M, et al. Ileal pouch-anal anastomosis for ulcerative colitis: 30-years analysis on surgical evolution and patient outcome. BJS Open 2024; zrae111

6. Rubin DT, Friedman S, Farraye FA. Curbside Consultation in IBD: 49 Clinical Questions. CRC Press 2024; 452p.

7. Kono T, Ashida T, Ebisawa Y, Chisato N, Okamoto K, Katsuno H, et al. A new antimesenteric functional end-to-end handsewn anastomosis: surgical prevention of anastomotic recurrence in Crohn’s disease. Dis Colon Rectum 2011; 54:586-592.

8. Albert L, Betton L, Falcoz A, Manceau G, Benoist S, Zerbib P, et al. Does Kono-S Anastomosis Reduce Recurrence in Crohn’s Disease

Compared with Conventional Ileocolonic Anastomosis? A Nationwide Propensity Score-matched Study from GETAID Chirurgie Group [KoCoRICCO Study]. J Crohns Colitis 2024; 18:525-532.

9. Coffey CJ, Kiernan MG, Sahebally SM, Jarrar A, Burke JP, Kiely PA, et al. Inclusion of the mesentery in ileocolic resection for crohn’s disease is associated with reduced surgical recurrence. J Crohns Colitis 2018; 12: 1139-1150.

10. Van der Does de Willebois EML, Bellato V, Duijvestein M, van der Bilt JDW, van Dongen K, Spinelli A, et al. Effect of mesenteric sparing or extended resection in primary ileocolic resection for Crohn’s disease on postoperative endoscopic recurrence (SPICY): an international, randomised controlled trial. Lancet Gastroenterol Hepatol 2024; 9: 793-801.

11. Roy P, Kumar D. Strictureplasty. BJS 2004; 91: 1428-1437.

12. Michelassi F, Hurst RD, Melis M, Rubin M, Cohen R, Gasparitis A, et al. Side-to-side isoperistaltic strictureplasty in extensive Crohn’s disease: a prospective longitudinal study. Ann Surg 2000; 232: 401-408.

13. de Buck van Overstraeten A, Wolthuis AM, D’Hoore A, Modified sideto-side isoperistaltic strictureplasty over the ileocaecal valve for the

surgical treatment fo terminal ileal Crohn’s disease: the ultimate bowel sparing technique? Colorectal Disease 2016; 18: O311-313.

14. Bemelman WA, Warusavitarne J, Sampietro GM, Serclova Z, Zmora O, Luglio G, et al. ECCO-ESCP Consensus on Surgery for Crohn’s Disease. J Crohns Colitis 2018; 12:1-16

15.  Panis Y, Poupard B, Nemeth J, Lavergne A, Hautefeuille P, Valleur P. Ileal pouch/anal anastomosis for Crohn’s disease. Lancet 1996; 347: 854-857.

16. Plietz MC, Kayal M, Rizvi A, Bangla VG, Khetan P, LaChapelle CR, et al. Slow and Steady Wins the Race: A Solid Case for a 3-Stage Approach in Ulcerative Colitis. Dis Colon Rectum 2021; 64:1511-1520.

17. Beyer-Berjot L, Maggiori L, Birnbaum D, Lefevre J. H, Berdah S, Panis Y. A Total Laparoscopic Approach Reduces the Infertility Rate After Ileal Pouch-Anal Anastomosis. A 2-Center Study. Ann Surg 2013; 258:275–282.

18. Uzzan M, Cosnes J, Amiot A, Gornet J, Seksik Ph, Cotte E et al. Longterm Follow-up After Ileorectal Anastomosis for Ulcerative Colitis. Ann Surg 2017; 266: 1029–1034.

19. Uzzan M, Kirchgesner J, Oubaya N, Amiot A, Gornet JM, Seksik P, et al. Risk of Rectal Neoplasia after Colectomy and Ileorectal Anastomosis for Ulcerative Colitis. J Crohns Colitis 2017; 11: 930-935.

20. Frontali A, Cohen L, Bridoux V, Myrelid P, Sica G, Poggioli G, et al. Segmental colectomy for ulcerative colitis: is there a place in selected patients without active colitis? An international multicentric retrospective study in 72 patients. Journal of Crohn’s and Colitis 2020;

1687–1692.

21. Gardenbroek TJ, Pinkney TD, Sahami S, Morton DG, Buskens CJ, Ponsioen CY, et al. The ACCURE-trial: the effect of appendectomy

on the clinical course of ulcerative colitis, a randomised international multicenter trial (NTR2883) and the ACCURE-UK trial: a randomised

external pilot trial (ISRCTN56523019). BMC Surg 2015; 15:30. 

22. Sahami S, Wildenberg ME, Koens L, Doherty G, Martin S, D’Haens GRAM, et al. Appendectomy for Therapy-Refractory Ulcerative Colitis Results in Pathological Improvement of Colonic Inflammation: Short-Term Results of the PASSION Study. J Crohns Colitis 2019; 13: 165-171.

23. Vigorita V, Cano-Valderrama O, Celentano V, Vinci D, Millán M, Spinelli A, et al. Inflammatory Bowel Diseases Benefit from Enhanced

Recovery After Surgery [ERAS] Protocol: A Systematic Review with Practical Implications. J Crohns Colitis 2022; 16: 845-851.

Written by Barbara DONCK

Centre de Chirurgie Colorectale, Groupe Hospitalier Privé Ambroise Paré-Hartmann. Neuilly-sur-Seine

Written by Emma ZUPPI

Centre de Chirurgie Colorectale, Groupe Hospitalier Privé Ambroise Paré-Hartmann. Neuilly-sur-Seine

Written by Eleonora CALAFIORE

Centre de Chirurgie Colorectale, Groupe Hospitalier Privé Ambroise Paré-Hartmann. Neuilly-sur-Seine

Written by Marion ORVILLE

Written by Yves PANIS

Centre de Chirurgie Colorectale, Groupe Hospitalier Privé Ambroise Paré-Hartmann. Neuilly-sur-Seine

REPORT ABUSE

No Comments Yet.

Leave a Reply

You must login to reply to this article.
Login, or create an account if you don't have one yet to reply to this article.

Log in | New account